Les précurseurs sociaux et historiques de l’hypnose

Conférence sur les précurseurs sociaux de l'hynose présentée au Congrès de la Société Internationnale d'hypnose en 2018.

Conférence sur les fondements de l'hypnose

En première partie de cette conférence, je brossais le tableau historique des forces sociales [2] qui ont mené à la création des conceptions scientifiques de l’hypnose en 1820 par Hénin de Cuvillers[5]. Par la suite, nous explorons ses écrits pour en analyser les fondements épistémologiques, théoriques et techniques du principal protagoniste de la mouvance imaginationniste et créateur du concept d’hypnose[3][4].

Nous constaterons comment cet érudit philosophe, empreint d’un rationalisme rigoureux, ne se laissait pas berner par les magnétiseurs, qui laissaient croire en l’existence des pouvoirs surnaturels du magnétisme. Hénin de Cuvillers ne croyait pas à l’existence d’un fluide magnétique animal ou universel agissant comme les tromperies d’un vulgaire effet placebo

Il adhérait plutôt aux conclusions de la Commission Royale de 1784[1] qui, après la première recherche de l’histoire des sciences humaines en «simple aveugle», démontrait l’influence de l’imagination dans la phénoménologie du magnétisme.

L’examen de ses écrits nous révèle comment Hénin de Cuvillers se différenciait de Mesmer et de Puységur dans l’utilisation de ses techniques d’hypnose qui misaient sur l’influence réelle de l’imagination, plutôt que sur une croyance assimilable à une superstition trompeuse.[6]

Dans cet article, je me propose d’introduire la présentation de cette conférence afin de permettre une vision plus globale de l’étendue de la contribution des imaginationnistes et de leur principal instigateur, le Baron d’Hénin de Cuvillers. Bien que ses écrits furent longtemps oubliés, nous proposerons des pistes de recherche à emprunter pour suivre les traces de ce véritable créateur de l’hypnose médicale et clinique de l’ère moderne.

Les précurseurs sociaux de l’hypnose

L’apparition de l’hypnose s’est faite dans le contexte historique et socioculturel de la Révolution française. Ceci nous aide à comprendre comment des acteurs et protagonistes provenant de divers mouvements intellectuels, politiques, militaires et spirituels de ce segment turbulent de l’histoire contribuèrent à l’apparition des concepts et fondements de l’hypnose.

La révolution, le rejet de la monarchie et du dogme religieux, l’avènement de la République française et la création d’institutions académiques sont les ingrédients qui ont provoqué la naissance de l’hypnose scientifique.
Plus précisément, cette naissance survient deux décennies après la Révolution française, au moment où Napoléon Bonaparte subissait la défaite et l’exil.
En 1819, un capitaine de la grande armée, Hénin de Cuvillers, obtient une rente de retraite et se retrouve avec du temps pour se réunir avec de vieux compagnons, pour cogiter et pour écrire et surtout pour publier sur ce vaste sujet que deviendra bientôt l’hypnose.
À titre de secrétaire d’une société scientifique, il éditera plus deux milles pages de manuscrits portant sur l’étude scientifique des phénomènes hypnotiques.

Pendant cette deuxième carrière de chercheur indépendant, Hénin de Cuvillers se livrera à l’étude de ce qu’on appelait alors le Magnétisme. Il chercha à «éclairer» les causes du spectacle, parfois navrant, auquel se livraient les sujets que l’on disait «magnétisés». En d’autres termes, il cherchait à démasquer et débusquer les charlatans «magnétiseurs».

Les exemples ne manquent pas pour illustrer comment, dans l’histoire, les charlatans tel que les magiciens guérisseurs et «toucheurs» apaisaient les symptômes par l’imposition des mains, comment les «sourciers» (prononcer «sorcier») utilisateurs de «baguettes divinatoires» savaient semer habilement la confusion et taxer la crédulité des paysans.

À cette époque, la médecine était limitée et peu développée. Il y avait encore beaucoup de «magnétiseurs» comme Franz Anton Mesmer ou son disciple Amand Marie Jacques de Chastenet de Puységur.
Ces charlatans et escrocs multipliaient subterfuges et artifices avec beaucoup d’habiletés et d’assurance. Parmi eux, plusieurs agissaient en effrontés, exploitant sans honte le public.
Ils cherchaient d’abord, grâce à d’habiles paroles, à gagner la confiance des passants de la place publique.
Les plus renommés d’entre eux pouvaient, comme Mesmer ou De Puységur, s’immiscer dans la haute société et se voir inviter dans les salons des nobles ou des bourgeois qui les considéraient comme d’excellentes distractions.

 

Ces charlatans disaient croire à un fluide magnétique universel qui régissait toute forme de vie.
En fait, on peut facilement comprendre aujourd’hui, avec le recul historique et scientifique, que ces phénomènes s’expliquaient surtout par l’effet placebo ou la soumission à l’autorité.
En nous appuyant sur les connaissances actuelles de la psychologie sociale, on sait comment il est facile de manipuler des sujets en leur faisant croire en l’existence de phénomène paranormal, de pouvoir surnaturel, de fluide magnétique porteur d’énergie vibratoire, etc.
Lorsqu’on utilise des techniques «placebo» simple, on peut manipuler, convaincre, créer de faux espoirs, par le mensonge et l’illusion.

Hénin de Cuvillers fut le premier à dénoncer publiquement, par la publication de ses écrits, les stratagèmes et les subterfuges des «fluidistes», c’est à dire ceux qui croyaient à l’existence de fluide pouvant contrôler nos destinés.

Voyons, dans un premier exemple, comment Mesmer utilisait des bouteilles de Leyde afin de produire de l’électricité statique qu’il appliquait sur des volontaires subjugués.

Baquet de Messmer

Les stratagèmes de Mesmer

La théorie magnétique de Mesmer s’inspirait des recherches de Galvani sur l’électricité. En résumé, le dogme de Mesmer et de ses disciples tel que Chastenet De Puységur, reposait sur l’existence supposée d’un fluide magnétique universel qui circulait dans tous les êtres vivants. Selon Mesmer, ce fluide pouvait guérir les malades en circulant dans leur corps. En fait, en donnant l’espoir d’une guérison par la croyance en ce fluide, Mesmer misait surtout sur l’effet placebo.

Mesmer se gardait bien de dévoiler le mystère de ces décharges électriques à ses «clients». Au contraire, il capitalisait sur ce phénomène pour étayer sa thèse frauduleuse sur le magnétisme. Mesmer et ses disciples expliquaient la perception de ces décharges électriques par le passage du fluide magnétique animal. Les sujets de ses expériences «croyaient» en ces explications et Mesmer gagnait en crédibilité.

On voit plus bas le schéma d’un baquet de Mesmer, avec ses tiges de métal que les magnétisés devaient tenir par la main. La conception de ce baquet intégrait une bouteille de Leyde, qui est l’ancêtre du condensateur. En elle-même, ces bouteilles étaient des outils de recherches scientifiques. Concrètement, elles n’avaient d’autre utilité que de susciter la curiosité des foules. On les rentabilisait en les utilisant pour donner des décharges électriques et ainsi méduser le public dans les foires. Pendant une de ces expériences, faite à Versailles devant le Roi Louis XV, la décharge d’une grosse bouteille de Leyde fut ressentie par deux cents courtisans se tenant la main en circuit fermé. En reprenant cette invention, mais en la recouvrant d’un baril de bois fermé pour en conserver le mystère, Mesmer pouvait l’utiliser pour subjuguer et impressionner les magnétisés en leur faisant croire qu’ils avaient droit à la toute dernière technologie médicale.

Baquet de Mesmer

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