Dans le cadre du prochain Congrès triennal de l’International Society of Hypnosis, le XXIe Congrès mondial d’hypnose médicale et clinique qui se tiendra à Montréal en août 2018, je présenterai une conférence ayant pour titre: « Les premières techniques d’hypnose de l’école imaginationniste et de son principal instigateur, Hénin de Cuvillers, telles que pratiquées au début du dix-neuvième siècle ».
En première partie de cette conférence, je brosserai le tableau historique des forces sociales [2] qui ont mené à la création des conceptions scientifiques de l’hypnose en 1820 par Hénin de Cuvillers[5]. Par la suite, nous explorerons ses écrits pour en analyser les fondements épistémologiques, théoriques et techniques du principal protagoniste de la mouvance imaginationniste et créateur du concept d’hypnose[3][4]. Nous constaterons comment cet érudit philosophe, empreint d’un rationalisme rigoureux, ne se laissait pas berner par les magnétiseurs, qui laissaient croire en l’existence des pouvoirs surnaturels du magnétisme. Hénin de Cuvillers ne croyait pas à l’existence d’un fluide magnétique animal ou universel agissant comme les tromperies d’un vulgaire effet placebo. Il adhérait plutôt aux conclusions de la Commission Royale de 1784[1] qui, après la première recherche de l’histoire des sciences humaines en «simple aveugle», démontrait l’influence de l’imagination dans la phénoménologie du magnétisme.
L’examen de ses écrits nous révèle comment Hénin de Cuvillers se différenciait de Mesmer et de Puységur dans l’utilisation de ses techniques d’hypnose qui misaient sur l’influence réelle de l’imagination, plutôt que sur une croyance assimilable à une superstition trompeuse.[6]
Dans cet article, je me propose d’introduire la présentation de cette conférence afin de permettre une vision plus globale de l’étendue de la contribution des imaginationnistes et de leur principal instigateur, le Baron d’Hénin de Cuvillers. Bien que ses écrits furent longtemps oubliés, nous proposerons des pistes de recherche à emprunter pour suivre les traces de ce véritable créateur de l’hypnose médicale et clinique de l’ère moderne.
Les précurseurs sociaux de l’hypnose
L’apparition de l’hypnose s’est faite dans le contexte historique et socioculturel de la Révolution française. Ceci nous aide à comprendre comment des acteurs et protagonistes provenant de divers mouvements intellectuels, politiques, militaires et spirituels de ce segment turbulent de l’histoire contribuèrent à l’apparition des concepts et fondements de l’hypnose.
La révolution, le rejet de la monarchie et du dogme religieux, l’avènement de la République française et la création d’institutions académiques sont les ingrédients qui ont provoqué la naissance de l’hypnose scientifique. Plus précisément, cette naissance survient deux décennies après la Révolution française, au moment où Napoléon Bonaparte subissait la défaite et l’exil. En 1819, un capitaine de la grande armée, Hénin de Cuvillers, obtient une rente de retraite et se retrouve avec du temps pour se réunir avec de vieux compagnons, pour cogiter et pour écrire et surtout pour publier sur ce vaste sujet que deviendra bientôt l’hypnose. À titre de secrétaire d’une société scientifique, il éditera plus deux milles pages de manuscrits portant sur l’étude scientifique des phénomènes hypnotiques.
Pendant cette deuxième carrière de chercheur indépendant, Hénin de Cuvillers se livrera à l’étude de ce qu’on appelait alors le Magnétisme. Il chercha à « éclairer » les causes du spectacle, parfois navrant, auquel se livraient les sujets que l’on disait « magnétisés ». En d’autres termes, il cherchait à démasquer et débusquer les charlatans « magnétiseurs ».
Les exemples ne manquent pas pour illustrer comment, dans l’histoire, les charlatans tel que les magiciens guérisseurs et « toucheurs » apaisaient les symptômes par l’imposition des mains, comment les « sourciers » (prononcer « sorcier ») utilisateurs de « baguettes divinatoires » savaient semer habilement la confusion et taxer la crédulité des paysans.
À cette époque, la médecine était limitée et peu développée. Il y avait encore beaucoup de « magnétiseurs » comme Franz Anton Mesmer ou son disciple Amand Marie Jacques de Chastenet de Puységur. Ces charlatans et escrocs multipliaient subterfuges et artifices avec beaucoup d’habiletés et d’assurance. Parmi eux, plusieurs agissaient en effrontés, exploitant sans honte le public.
Ils cherchaient d’abord, grâce à d’habiles paroles, à gagner la confiance des passants de la place publique. Les plus renommés d’entre eux pouvaient, comme Mesmer ou De Puységur, s’immiscer dans la haute société et se voir inviter dans les salons des nobles ou des bourgeois qui les considéraient comme d’excellentes distractions.
Ces charlatans disaient croire à un fluide magnétique universel qui régissait toute forme de vie. En fait, on peut facilement comprendre aujourd’hui, avec le recul historique et scientifique, que ces phénomènes s’expliquaient surtout par l’effet placebo ou la soumission à l’autorité. En nous appuyant sur les connaissances actuelles de la psychologie sociale, on sait comment il est facile de manipuler des sujets en leur faisant croire en l’existence de phénomène paranormal, de pouvoir surnaturel, de fluide magnétique porteur d’énergie vibratoire, etc. Lorsqu’on utilise des techniques « placebo » simple, on peut manipuler, convaincre, créer de faux espoirs, par le mensonge et l’illusion.
Hénin de Cuvillers fut le premier à dénoncer publiquement, par la publication de ses écrits, les stratagèmes et les subterfuges des « fluidistes », c’est à dire ceux qui croyaient à l’existence de fluide pouvant contrôler nos destinés. Voyons, dans un premier exemple, comment Mesmer utilisait des bouteilles de Leyde afin de produire de l’électricité statique qu’il appliquait sur des volontaires subjugués.
Les stratagèmes de Mesmer
La théorie magnétique de Mesmer s’inspirait des recherches de Galvani sur l’électricité. En résumé, le dogme de Mesmer et de ses disciples tel que Chastenet De Puységur, reposait sur l’existence supposée d’un fluide magnétique universel qui circulait dans tous les êtres vivants. Selon Mesmer, ce fluide pouvait guérir les malades en circulant dans leur corps. En fait, en donnant l’espoir d’une guérison par la croyance en ce fluide, Mesmer misait surtout sur l’effet placebo.
Il importe ici de définir ce qu’est un placebo. Wikipedia définit cet effet comme « un traitement d’efficacité pharmacologique propre nulle mais agissant, lorsque le sujet pense recevoir un traitement actif, par un mécanisme psychologique ou physiologique. » Autrement dit, un placebo est un traitement dont l’efficacité repose entièrement sur les croyances du sujet qui reçoit le traitement. Ce n’est pas le traitement qui guérit, mais par un mécanisme psychologique ou physiologique, c’est l’imagination du sujet qui dans certains cas peut avoir une influence positive sur les symptômes ou la guérison de la maladie. Tous les stratagèmes de Mesmer incitaient les sujets à développer cette confiance envers le traitement. Par exemple, les petites décharges électriques à la base du «traitement » de Mesmer, impressionnaient par leur caractère de nouveauté et de mystère inexplicable et avaient pour effet de stimuler l’imagination.
La musique harmonieuse, mais surtout étrange qui l’accompagnait avait également ce caractère inédit. En effet, Mesmer utilisait à son crédit, une autre invention, celle de Benjamin Franklin, l’harmonica de verre. Cet instrument, produit des harmoniques et consonants par la vibration de cônes de verre ingénieusement juxtaposés. Ces sons étranges avaient un effet très impressionnant, comparable à la musique de détente qu’on peut entendre de nos jours. Voici une gravure représentant cet instrument :
L’ambition de Messmer le pousse à séduire, à ébahir, à impressionner. Il sait qu’il peut influencer en captivant l’imagination. Son baquet impressionne par sa taille, mais également par ses vertus supposées, son aspect mystérieux et intrigant et par l’espoir qu’il insuffle à ceux qui veulent en obtenir des bienfaits. On apprend, en lisant un passage des Archives du Magnétisme Animal, que le baquet de Mesmer était en fait un baril de bois, dissimulant une grande bouteille de Leyde connectée à huit tiges métalliques qui sortaient du baquet. Ces bouteilles inventées dans la ville de Leyde (maintenant Leiden) vers 1745 accumulaient de l’électricité statique. Les magnétisés devaient tenir les tiges et un « valet toucheur » circulant autour du baquet avait pour tâche de « toucher » les « clients » afin de leur transmettre le fluide. On peut présumer que c’est à ce moment qu’il leur transmettait une décharge d’électricité statique. On peut présumer qu’en touchant les patients « bons payeurs », les valets pouvaient ainsi fermer le circuit électrique à la terre, ce qui produisait la décharge électrique. Les « magnétisés » accrochés à ce « condensateur électrique » devaient être très impressionnés, littéralement « électrisés ».
Voici un schéma de la bouteille de Leyde, provenant de Wikipédia.
Mesmer se gardait bien de dévoiler le mystère de ces décharges électriques à ses « clients ». Au contraire, il capitalisait sur ce phénomène pour étayer sa thèse frauduleuse sur le magnétisme. Mesmer et ses disciples expliquaient la perception de ces décharges électriques par le passage du fluide magnétique animal. Les sujets de ses expériences « croyaient » en ces explications et Mesmer gagnait en crédibilité.
On voit plus bas le schéma d’un baquet de Mesmer, avec ses tiges de métal que les magnétisés devaient tenir par la main. La conception de ce baquet intégrait une bouteille de Leyde, qui est l’ancêtre du condensateur. En elle-même, ces bouteilles étaient des outils de recherches scientifiques. Concrètement, elles n’avaient d’autre utilité que de susciter la curiosité des foules. On les rentabilisait en les utilisant pour donner des décharges électriques et ainsi méduser le public dans les foires. Pendant une de ces expériences, faite à Versailles devant le Roi Louis XV, la décharge d’une grosse bouteille de Leyde fut ressentie par deux cents courtisans se tenant la main en circuit fermé. En reprenant cette invention, mais en la recouvrant d’un baril de bois fermé pour en conserver le mystère, Mesmer pouvait l’utiliser pour subjuguer et impressionner les magnétisés en leur faisant croire qu’ils avaient droit à la toute dernière technologie médicale.
Hénin de Cuvillers conceptualise le « rationnel » de l’hypnose
Hénin de Cuvillers dénonçait cette utilisation frauduleuse et mensongère de cet instrument. Pour lui, il était honteux de voir des scientifiques utiliser des outils de recherche à des fins purement mercantiles. L’utilisation frauduleuse des bouteilles de Leyde sont mentionnées à la page 226 du Tome 8 des Archives du Magnétisme Animal. Hénin de Cuvillers publiera alors un « Avertissement » qu’il adressera à ses lecteurs. Il ne le sait pas, mais cet « Avertissement » est le dernier écrit qu’il pourra publier. Il s’agira de sa dernière contribution à titre de Secrétaire de la Société du Magnétisme Animal qui sera dissoute. En voici le texte :
« Je publierai dans un prochain numéro des réflexions critiques sur les illusions qui fourmillent dans le précédent écrit, intitulé Ma Conviction, etc. Je prouverai que malgré les faits qui y sont exposés, et dont je ne veux contester aucun, on ne peut en rien conclure en faveur du système d’un prétendu fluide mental de la volonté ou de la pensée, produisant une action sur un être vivant, sans le concours de l’imagination de la personne magnétisée, mise en jeu par le magnétiseur.
L’auteur de cet écrit, en adoptant, sur le magnétisme animal, les opinions de MM. de Puységur et Deleuze, sous les drapeaux desquels il s’est rangé, renchérit, en quelque sorte, sur le système d’un fluide magnétique animal, qui n’a jamais été prouvé. En effet, cet auteur, animé de la foi la plus vive, accorde une croyance sans réserve à l’action de la volonté d’un magnétiseur sur son patient, sans l’intervention des agents physiques, c’est-à-dire des sens, qui sont les ministres de l’imagination. Les conséquences d’un pareil système, si mal fondé, qui deviendrait l’auxiliaire du fanatisme, en reconduisant les hommes vers la superstition, paraîtront sans doute bien étranges à la plupart de nos lecteurs, et aux ultrafluidistes-magnétistes eux-mêmes , s’ils veulent bien y réfléchir.» -Hénin de Cuvillers
En mentionnant les « ultrafluidistes », Hénin de Cuvillers veut sans doute singer les Ultra-Royalistes qui visent à réinstaller le pouvoir aristocratique. L’année suivante, 1824, marquera le début du règne de Charles X. Le régime aristocratique s’installera et causera le déclin de l’hypnose en permettant une ré-émergence de conception « fluidiste » empreinte de superstition et de tromperie manipulatrice semblable à l’effet placebo. Ce retour à la noirceur de régimes autoritaires permettra aux magnétiseurs tels que Joseph Philippe François Deleuze d’exploiter librement l’effet placebo en misant sur la crédulité de milliers de malades qui avaient foi en l’effet curatif d’un fluide magnétique. Il faudra attendre l’avènement de la troisième République pour que la vérité de l’hypnose puissent revoir le jour.
Contrairement aux magnétiseurs disciples de Mesmer, Hénin de Cuvillers se donna pour mission de « rationaliser » ces théories frauduleuses du « fluide animal ». Armé des convictions philosophiques et de l’héritage du déterministe causal, il cherchera à expliquer les phénomènes observés depuis l’antiquité et qui s’apparentaient à cet état de « transe » caractéristique des « somnambules magnétisés » de Mesmer.
Dans un livre que j’ai rédigé sur le sujet, vous pouvez constater comment Hénin de Cuvillers a su élaborer une théorie simple basée sur le pouvoir de l’imagination et comment il en a décliné des procédés et des techniques tout aussi simples qui sont encore utilisées de nos jours par les praticiens compétents de l’hypnothérapie. Vous pouvez consulter la fiche de ce livre à cette adresse:
Références:
[1] Franklin, B (1784) Rapport des commissaires chargés par le Roi, de l’examen du magnétisme animal, imprimé par ordre du Roi à Paris à l’imprimerie royale.
[2] Goldman, Alvin (1999) Knowledge in a Social World; Oxford University Press.
[3] Gravitz Melvin A., Gerton Manuel I. (1984) Origins of the Term Hypnotism Prior to Braid, American Journal of Clinical Hypnosis Vol. 27, Iss. 2
[4] Gravitz, Melvin A. (1993) Etienne Félix d’Hénin de Cuvillers: A Founder of Hypnosis, American Journal of Clinical Hypnosis, 36:1, 7-11
[5] Hénin de Cuvillers, Étienne-Félix d’ (1820). Le magnétisme éclairé. Barrois. Paris.
[6] Hénin de Cuvillers, Étienne-Félix d’ (1821). Le magnétisme animal retrouvé dans l’antiquité. Barrois, Paris.
[7] Hénin de Cuvillers, Étienne-Félix d’ (1822). Archives du magnétisme animal. Tome 2-4 Barrois, Paris.
[8] Hénin de Cuvillers, Étienne-Félix d’ (1823). Archives du magnétisme animal. Tome 5-8 Barrois, Paris.
Archives du magnétismes animal publiées sous la direction de Félix Hénin de Cuvillers :
1820
Archives du magnétisme animal, Volume 1 (1820).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 1, Barrois l’aîné, Paris 1820.
Archives du magnétisme animal, Volume 2 (1820).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 2, Barrois l’aîné, Paris 1820.
1822
Archives du magnétisme animal, Volume 3 (1822).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 3, Barrois l’aîné, Paris 1822.
Archives du magnétisme animal, Volume 4 (1822).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 4, Barrois l’aîné, Paris 1822.
Archives du magnétisme animal, Volume 5 (1822).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 5, Barrois l’aîné, Paris 1822.
Archives du magnétisme animal, Volume 6 (1822).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 6, Barrois l’aîné, Paris 1822.
1823
Archives du magnétisme animal, Volume 7 (1823).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 7, Barrois l’aîné, Paris 1823.
Archives du magnétisme animal, Volume 8 (1823).
Etienne-Félix Hénin de Cuvillers, Archives du magnétisme animal, Vol. 8, Barrois l’aîné, Paris 1823.