On sait comment les rêveries ont pu, dans l’histoire de l’art, inspirer les plus grands artistes dans leur élan de créativité. Nous posons cette hypothèse que ce sont des états de consciences hypnoïdes, comme la transe hypnotique, qu’émergent les fantaisies les plus créatives.
Par définition, la création originale implique de sortir du cadre des raisonnements logiques basés sur des lois contraignantes. Cet article est le résumé d’un article publié sur le site HypnoKairos.
Après avoir établi un contexte théorique qui décrit les facteurs de la créativité, nous explorerons, à l’aide d’un questionnaire, la possibilité de l’utilisation de la transe hypnotique dans le but de faciliter ce processus créateur.
Vous pouvez consulter ce questionnaire ici :
Questionnaire sur l’influence de l’auto-hypnose pendant le processus créateur
Conditionnement hypnotique
La transe hypnotique est probablement l’état de conscience hypovigile autorégulé le plus facilement conditionnable. Nous définirons l’auto-hypnose comme un conditionnement permettant à la personne de s’induire par elle-même dans cet état hypnoïde.
L’entretien de cette pratique faciliterait l’accès aux associations et représentations créatives. L’état hypnoïde coïnciderait ainsi avec une plus grande ouverture d’esprit qui encouragerait la facilité créative.
Pour certains chercheurs et théoriciens, c’est l’origine sous-corticale, préverbale, non analytique ou inconsciente de la transe hypnotique qui favoriserait son apport à la créativité.
Les représentations visuelles viendraient nourrir des scénarios intérieurs en passant de représentations sensorielles, visuelles, auditives, olfactives, kinesthésiques, propres à la création (Krippner, 1965). Ainsi, les écrivains, qui sont des artistes créateurs de prose ou de poésie, utiliseraient des représentations perceptuelles pour les traduire verbalement, sous forme écrite.
Création du concept d’hypnose
Le concept d’hypnose, créé par Hénin de Cuvillers, dérivait étymologiquement du grec ancien enýpnion et signifiait somnolence accompagnée de songes. Hénin ne manquait pas de souligner comment l’état de conscience hypnoïde pouvait stimuler la créativité.
Dans ses ouvrages, il décrivait cette hypno-phénoménologie et ses différentes applications. Pour considérer, voir ou imaginer en état d’hypnose, Hénin de Cuvillers proposait l’hypnoscopie, c’est-à-dire la technique facilitant la visualisation en transe hypnotique.
La création verbale sous état d’hypnose référait à l’hypnologie, science qui, toujours selon Hénin, a pour objet l’art de faire parler les hypnologues, ceux qui parlent pendant l’hypnose.
En tant qu’imaginationniste, Hénin de Cuvillers postulait que l’état d’hypnose était induit par l’imagination. Selon lui, l’hypnose s’alimentait principalement de l’imagination. D’ailleurs, lorsque lui-même écrivait, il utilisait des techniques d’écriture spontanée, qu’on pourrait qualifier d’automatique.
Il ne se relisait pas et transcrivait, page après page, ses idées sur le papier qu’il transmettait aussitôt à l’imprimeur (Côté, 2017a).
Auto-hypnose chez Freud
Près d’un siècle plus tard, Freud (1926), un fervent utilisateur des techniques d’hypnose clinique, citait une métaphore du poète allemand Friedrich Schiller pour illustrer comment, dans les esprits créateurs, même dans le monde littéraire, l’intellect retire la garde pour laisser émerger les idées sans jugement, sans analyse critique, dédouanées de toute contrainte rationnelle.
Freud reprendra cette métaphore que Schiller adressait aux esprits créateurs et en fera la base de sa conception dynamique du mécanisme de régression au service du moi.
Freud écrira : « En réalité, il n’est pas très difficile de retirer ainsi la garde qui veille aux portes de la raison, comme dit Schiller, et de se mettre dans l’état d’auto-observation sans critique. La plupart de mes malades y arrivent dès le premier essai, moi-même je le fais facilement, surtout si j’écris toutes les idées qui me viennent, ce qui est un grand secours.
La somme d’énergie psychique libérée par la chute de l’activité critique et utilisée pour l’auto-observation varie selon le thème, objet de l’attention (pp. 96).»
Freud nous parle d’un état d’auto-observation sans critique qu’il peut exploiter dans son propre processus de création, ce qu’il mentionne lui être d’un grand secours. Dans ce passage, Freud pourrait tout aussi bien nous parler d’auto-hypnose, car il s’agit bien d’une technique qui permet l’auto-observation sans critique.
Auto-hypnose peut-elle aider à mieux créer ?
Un des avantages, utilités ou fonctions de la pratique de l’auto-hypnose c’est qu’elle permet justement de retirer la garde. En termes simples, l’auto-hypnose pourrait se comparer à un conditionnement. Il s’agit d’un rituel qu’on répète et qui nous aide à nous convaincre qu’on est dans une bulle de bien-être.
On se conditionne, on s’entraine, par soi-même, à se visualiser (Hénin de Cuvillers dirait à s’hypnoscoper), dans une bulle de protection, de confort et de détente. Comme par exemple, dans l’induction suivante :
Pendant quelques minutes, intouchable, dans un espace intérieur inaltérable, en sécurité, où il n’y a rien d’autre à faire que d’être bien , de prendre le temps d’être bien et de ressentir, de se percevoir détendu, les muscles détendus, de plus en plus détendus…
Cet état de conscience conditionné, cette auto-hypnose, nous aide à percevoir, à concevoir, à conceptualiser, à représenter, à visualiser, sans filtre rationnel, analytique ou comptable. Il y a un désengagement, un découplage de l’activation de zones du cortex cérébral responsable de l’évaluation et de la pensée critique (Egner T, Jamieson G, Gruzelier J., 2005).
Le découplage implique que ces zones restent accessibles, mais sans être sollicitées. Il y a focalisation sur les impressions, les perceptions, les sensations de bien-être. À cette focalisation, on ajoute l’autosuggestion de détente musculaire qui enclenche un mécanisme d’activation parasympathique.
Une réaction en chaîne qui ralentit et approfondit le cycle respiratoire et induit un état hypnoïde de somnolence hypovigile propre aux rêveries et à l’hypnoscopie. La question exploratoire peut se formuler ainsi :
- Est-ce que les techniques d’auto-hypnose peuvent être utilisées comme adjuvant et stimulant de la créativité ?
- Est-ce que l’auto-hypnose peut favoriser la création ?
Pour répondre à ces questions de façon exploratoire, un petit questionnaire de quelques questions simples fut conçu. Deux écrivains pratiquant l’auto-hypnose ont accepté d’y consacrer quelques heures afin d’y répondre de façon sérieuse en laissant une place à l’introspection et à une profonde réflexion.
Le questionnaire créé se nomme Questionnaire sur l’influence de l’auto-hypnose pendant le processus créateur. Dans le texte d’introduction, les techniques d’auto-hypnose sont décrites comme consistant essentiellement à se mettre, par conditionnement, dans un état d’hypovigilance et de rêverie.
Un portrait factuel de cet état hypnoïde est définit : « Inhibition et détente musculaire très profonde, les yeux fermés. Activation progressive des mécanismes physiologiques du système autonome parasympathique. » En conclusion, l’objectif suivant est formulé :
Ce questionnaire a pour but de reconnaître en quoi l’état de transe hypnotique peut vous aider dans votre processus créateur.
Le questionnaire complet peut être consulté en cliquant sur le lien suivant (Côté, 2017b) :
Questionnaire sur l’influence de l’auto-hypnose pendant le processus créateur
Conclusion
Jusqu’à maintenant, les réponses indiquent que les techniques d’auto-hypnose et la transe hypnoïde qu’elles induisent peut faciliter le processus créateur. Un plus grand conditionnement par l’expérience fréquente de leur utilisation au quotidien les rendra plus accessibles.
Il ressort de cette étude exploratoire que la transe hypnotique peut être utilisée pour permettre à l’auteur de visualiser les scènes, les personnages, les contextes. Elle peut également l’aider à se couper du monde extérieur pour initier le processus créateur et l’aider à se concentrer sur l’activité créatrice.
De plus, une utilisation régulière de ces techniques peut aider un auteur à mieux se connaître et ainsi à mettre à jour son répertoire descriptif et aiguiser sensibilité afin de reproduire un plus grand registre émotionnel dans ses personnages.
Enfin, il ressort de cette étude exploratoire que l’artiste écrivain utilise l’auto-hypnose pour éviter la tentation de l’analyse et de la planification qui pourrait avoir l’effet de jugement stérile dont parlait Schiller. Les réponses indiquent que les techniques d’auto-hypnose peuvent permettre aux processus créateur de s’installer.
Les deux écrivains ayant répondu au questionnaire intègrent naturellement ces techniques dans leur processus actif de création. On pourrait conclure, à cette étape, que des artistes qui n’y font déjà pas appel pourraient être avantagés par l’utilisation de techniques d’auto-hypnose pour y puiser d’autres sources d’inspiration.
Vous pouvez répondre à ce questionnaire de façon anonyme en consultant ce lien externe. Les réponses seront colligées pour compléter cet article.
Références
Côté, R. (2017a). Hénin de Cuvillers, concepteur de l’hypnose. L’origine de l’hypnothérapie moderne. Villes : Éditions hypnose-clinique.ca. http://amzn.eu/5g29IOU.
Côté, R. (2017b). Questionnaire sur l’influence de l’auto-hypnose pendant le processus créateur.
Egner T, Jamieson G, Gruzelier J. (2005). Hypnosis decouples cognitive control from conflict monitoring processes of the frontal lobe. Neuroimage. Oct 1; 27(4):969-78.
Freud, S. (1900). L’interprétation des rêves (1re éd. tr. en français). Paris : PUF, 1926.
Krippner, S. (1965). Hypnosis and creativity, Gifted Child Quarterly, 9 (3), pp. 149-155.